Ces dernières décennies, le changement global et son impact direct ou indirect sur les sociétés modernes ont fait de l’écologie un des champs d’action publique privilégiés. Rattachée au septième objectif du développement durable de l’Organisation des Nations Unies, la transition énergétique a, en France, été propulsée au-devant de la scène médiatique et politique. Ainsi, la loi de transition écologique pour la croissance verte (TECV) du 17 août 2015 a entériné les grandes orientations énergétiques françaises pour le climat à travers la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE). Plus récemment, la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a doté les collectivités territoriales françaises de la capacité de définir des zones propices au développement des énergies renouvelables. Ce nouveau contexte porte des enjeux importants puisqu’il pourrait s’agir d’une forme nouvelle de décentralisation administrative de la production d’électricité. Son pilotage se fait non sans lien avec la production des espaces urbains, à savoir selon des logiques néolibérales et par le biais d’alliances entre le monde privé et le monde politique (Etat et pouvoirs publics locaux) (Weber, 2015).
Durant les treize années qui ont suivi la triple catastrophe du 11 mars 2011 dans le Tohoku au Japon, la recherche scientifique a largement contribué à produire de la connaissance autant sur les conséquences humaines et matérielles de la catastrophe que sur la fabrique de l’action publique et l’émergence de mouvements sociaux. En particulier, l’analyse des transformations des paysages ruraux comme urbains a été révélatrice de plusieurs changements. Le premier est l'extraction et l’accumulation d’importants volumes d’eau et de terres radioactives liées aux politiques de décontamination (Asanuma-Brice et al., 2023). Le second, qui retiendra notre attention dans le projet de recherche, est le développement rapide des centrales photovoltaïques sur ce territoire, traduisant une redirection des politiques énergétiques locales vers les énergies renouvelables (A. Schreurs, 2020). Plus particulièrement, il a été observé sur le territoire un investissement significatif des citoyens dans des sociétés de production d’énergie solaire et cela particulièrement dans les communes contaminées de la préfecture de Fukushima (Asanuma-Brice et Hurtut, 2024).
Sur la base de ce constat, il s’agira, pour ce travail doctoral, d’étudier les recompositions de la société civile et des institutions autour de la question énergétique et d’expliciter ce contexte local a priori favorable au développement de l’énergie photovoltaïque. La recherche participera ainsi à la production de connaissances en sciences sociales sur le contexte post-catastrophe de Fukushima en documentant la capacité des citoyens à se saisir localement et collectivement des enjeux de souveraineté énergétique.
Contexte de travail
Le ou la doctorante sera dirigée par Cécile Asanuma-Brice, urbaniste et géographe, directrice du Mitate Lab. « Post-Fukushima Studies » (IRP CNRS pluridisciplinaire basé au Japon, co-direction O. Evrard, CEA), et Sophie Houdart, anthropologue, directrice de recherche dans l’UMR3186, Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative, à l’Université Paris Nanterre. Il ou elle sera inscrite à l’Ecole doctorale Espaces, Temps, Cultures (ED 395) et sera reçue en mobilité internationale à l’Institut français de recherche sur le Japon (UMIFRE 19) à Tokyo.
Au LESC, en France, le ou la doctorante prendra part aux activités de l‘axe « Zones grises et turbulences » qui s’intéresse à des situations ordinaires ou exceptionnelles, où indétermination et incertitude prédominent et où pouvoirs, institutions, normes, valeurs, croyances sont remis en question. Les recherches regroupées dans cet axe portent le regard sur les modalités qui permettent une action du politique à bas bruit ou une infra-politique dans des domaines qui touchent aussi bien à la religion, à la parenté, à la santé, l’environnement, qu’aux migrations. La présente recherche contribuera à la réflexion sur les zones d’ombre qui accompagnent les transitions, notamment énergétiques, au moment précis où est envisagé, pour un groupe social (en l’occurrence les populations dans la Préfecture de Fukushima), de faire le deuil d’un modèle et d’en épouser un autre.
Au Japon, le ou la doctorante participera à l’axe 2 « Crises, risques, et ruptures », qui s’intéresse à ce qui vient bouleverser la structuration des groupes sociaux et des moyens mis en œuvre pour y remédier. Le travail doctoral viendra nourrir la réflexion collective sur la bureaucratisation ou la politisation des désastres, l’expérimentalisation de la vie humaine à grande échelle, la recomposition des existants autres qu’humains ou la redéfinition des pratiques de savoirs sont envisagées tant dans leurs aspects socio-économiques qu’anthropologiques ou juridiques. La question de la transition énergétique, qui plus est amarrée à un contexte de post-catastrophe nucléaire, permettra d’aborder empiriquement des situations dans lesquelles la gestion de ce qui a eu lieu se retrouve mêlée intimement aux projections dans ce qui n’est pas encore. Le sujet proposé est ainsi destiné à occuper une place importante dans cet axe.
Contraintes et risques
Ce projet doctoral s’inscrit dans un contexte post-catastrophe sous-tendu par plusieurs éléments qui composent les paysages physique, social, politique et économique de ce territoire, qui représentent autant de pistes à creuser pour une meilleure compréhension du phénomène :
● Une géographie du territoire renouvelée en raison de l’altération des sols par les radionucléides. Celle-ci se traduit par des contraintes qui s’imposent sur l’occupation des sols, par une modification des paysages et des relations des habitants avec leurs territoires.
● D’importantes politiques d’aménagement portées par l’Etat notamment à l'intérieur de zones de reconstruction à proximité des gares, malgré des disparités territoriales sur l’accès aux services et aux soins.
● Des politiques d’incitation financière sur l’installation des entreprises, le développement et la recherche, construites autour du concept de résilience du territoire.
● L'émergence de mouvements sociaux locaux liés à la gestion de la catastrophe conjuguée avec une évolution démographique à la baisse, un renouvellement partiel des habitants ainsi qu’une évolution des récits individuels ou collectifs des habitants.
Le développement des infrastructures de production d’énergie s’arrime à la fabrique des espaces urbains. Le présent projet de recherche s'appuiera sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire. L’exercice consistera ensuite à cerner les soubassements sociaux, politiques et économiques de cette forme renouvelée de production d’espaces productifs. Pour ce faire, les travaux s’enrichiront des cadres d’analyse propres à la sociologie de l'action publique, notamment avec une approche par le néocorporatisme. Aussi, ce projet mobilisera des outils d’analyse de la sociologie des mouvements sociaux afin de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse d’une diversification des répertoires d'action collective des groupes d’intérêts citoyens par la production locale d’énergie.
Le ou la candidate possèdera un Master 2 en sciences sociales ou un diplôme d’ingénieur en aménagement urbain. Outre des compétences dans les disciplines susmentionnées, une bonne connaissance du japonais est requise. Le ou la candidate aura une expérience dans la réalisation d’enquêtes de terrain au Japon ainsi que de solides capacités d’écriture en français et des compétences en anglais scientifique.
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