Le numérique a longtemps été considéré comme un atout pour la transition écologique, au motif qu'il permettrait d'échapper à la réalité matérielle de l'industrialisation. Les notions de transitions écologiques et numériques sont ainsi considérées comme fortement liées, comme des transitions "jumelles". L'intelligence artificielle (IA) va suivre le même chemin à partir de la fin des années 2010, et son potentiel pour des applications environnementales va être souligné, y compris dans des articles scientifiques [1].
En parallèle, les problèmes environnementaux posés par le développement du numérique ont été mis en avant par des travaux scientifiques, qui soulignent les impacts directs du numérique dus au cycle de vie des équipements, mais aussi les impacts indirects d'accélération et de modification profonde des sociétés.
Concernant les impacts directs, des travaux ont cherché à calculer l'empreinte carbone du numérique au niveau mondial. Les auteurs de [2] ont montré la grande variation des estimations, venant notamment des différences de modélisations et des sources de données. Pour l'IA, l'empreinte carbone de plusieurs modèles d'IA a été calculée [3], allant même jusqu'à une analyse du cycle de vie [4]. Comme toute évaluation environnementale, ces estimations sont elles aussi sujettes à des incertitudes élevées.
Ces impacts directs du numérique en général et de l'IA en particulier font cependant l'objet de discussion, certains auteurs les minimisant voire les effaçant [5]. Concernant les impacts indirects, les travaux en IA se focalisent généralement sur les impacts positifs, sans prise en compte des impacts négatifs [6]. Et les affirmations en réaction à la demande de prise en compte des impacts négatifs peuvent dépasser la forme du simple désaccord scientifique : les auteurs de [5] parlent ainsi de "faulty estimates" pour des résultats d'expériences en réalité justes, mais dans un autre environnement technique. La présence forte de géants du numérique dans la communauté scientifique en IA [7] nuit certainement à un meilleur dialogue sur ces questions.
Nous nous trouvons donc face à une situation d'incertitude concernant les impacts environnementaux de l'IA, dans laquelle les différents acteurs impliqués dans la discussion ne parviennent pas à imposer un consensus, invoquant différentes manières de connaître et d'anticiper. En d'autres termes, nous sommes face à une controverse scientifique concernant les impacts environnementaux de l'IA.
L'étude des controverses révèle les dynamiques de pouvoir qui affectent le développement de la science et permet d'avoir une vision plus objective de la situation. Alors que les débats sur les impacts environnementaux de l'IA s'intensifient et que les chercheurs remettent en question la validité de certaines propositions en termes de conflits d'intérêts [7] ou de validité scientifique [5], il est temps de mieux comprendre la controverse en cours. En fonction des intérêts du ou de la candidat·e, une controverse impliquant l'IA dans un domaine d'application (par exemple l'agriculture numérique) pourrait être étudiée en tant que cas d'utilisation spécifique.
L'écosystème dans lequel se fait l'IA est ainsi sujet à controverses et à des rapports de force qu'il convient de documenter, car il n'existe à notre connaissance actuellement pas d'analyse de ces controverses. L'objectif de cette recherche postdoctorale sera de fournir une perspective documentée sur les différents points de vue afin d'éclairer les politiques publiques et les décisions scientifiques. Nous nous appuierons sur l'expérience en IA des chercheuses en informatique et leurs connaissances sur les impacts environnementaux du numérique, ainsi que sur les compétences en analyse de controverses d'un chercheur en sociologie.
Références
[1] Rolnick, D., Donti, P. L., Kaack, L. H., Kochanski, K., Lacoste, A., Sankaran, K & Bengio, Y. (2022). Tackling climate change with machine learning. ACM Computing Surveys (CSUR), 55(2), 1-96.
[2] Freitag, C., Berners-Lee, M., Widdicks, K., Knowles, B., Blair, G. S., & Friday, A. (2021). The real climate and transformative impact of ICT : A critique of estimates, trends, and regulations. Patterns, 2(9).
[3] Luccioni, A. S., Viguier, S., & Ligozat, A. L. (2023). Estimating the carbon footprint of BLOOM, a 176b parameter language model. Journal of Machine Learning Research, 24(253), 1-15.
[4] Berthelot, A., Caron, E., Jay, M., & Lefèvre, L. (2024). Estimating the environmental impact of Generative-AI services using an LCA-based methodology. Procedia CIRP, 122, 707-712.
[5] Patterson, D., Gonzalez, J., Hölzle, U., Le, Q., Liang, C., Munguia, L. M., Rothchild, D., So, D. R., Texier, M. & Dean, J. (2022). The carbon footprint of machine learning training will plateau, then shrink. Computer, 55(7), 18-28.
[6] Ligozat, A. L., Lefevre, J., Bugeau, A., & Combaz, J. (2022). Unraveling the hidden environmental impacts of AI solutions for environment life cycle assessment of AI solutions. Sustainability, 14(9), 5172.
[7] Abdalla M, Wahle JF, Ruas T, Névéol A, Ducel F, Mohammad SM, Fort K. The Elephant in the Room : Analyzing the Presence of Big Tech in Natural Language Processing Research. Proceedings of the 61st Annual Meeting of the Association for Computational Linguistics - ACL 2 :13141-13160
Activités
- Collecte et analyse de données sur les impacts environnementaux de l'IA.
- Identification des principaux acteurs et positions (quelles sont leurs revendications) et des différentes communautés épistémiques
- Entretiens avec les parties prenantes et nouvelle itération de l'analyse à la lumière des données qualitatives recueillies par le biais des entretiens.
Compétences
- Doctorat en informatique, mathématiques appliquées, mathématiques ou informatique aux frontières, sociologie des sciences et des techniques /sociologie
- Connaître le fonctionnement des méthodes d'intelligence artificielle
- Des connaissance en méthodes d'enquête qualitative et analyse de discours seraient un plus
Contexte de travail
Le ou la candidat·e intégrera l'équipe NeS (Numérique et Soutenabilité) du LaBRI. Il ou elle effectuera des déplacements réguliers entre le LABRI, le centre de Sociologie et de l'Innocation (Mines Paris - PSL) et le LISN.
Le poste se situe dans un secteur relevant de la protection du potentiel scientifique et technique (PPST), et nécessite donc, conformément à la réglementation, que votre arrivée soit autorisée par l'autorité compétente du MESR.
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